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XXe siècle n°53

transformant Georgette, sa femme, en statue antique maculée de sang. A ce propos, il faut bien consentir qu’à l’exception de Bellmer, qui a fouaillé l’intériorité physique des sensations érotiques de la femme, les surréalistes c’est là où Xavière Gauthier a raison ont désespérément cherché à enrayer le mouvement qui depuis Les Demoiselles de la Seine a ramené le mythe de la femme à terre. Le culte de Nadja chez Breton, le culte de Gala chez Dali, le culte d’Elsa chez Aragon ont ceci de commun avec le culte de Georgette transformée en «Magie noire» ou en « Mémoire » qu’ils récusent toute vulgarisation de la femme aimée et désirée: les réticences d’André Breton à l’égard de Bellmer s’éclairent à partir de là. A la limite, et malgré le caractère véridique des récits de Nadja et des Vases communicants, les surréalistes ont refusé d’identifier la femme au réel. Les mythes surréalistes de la femme enfant et de la femme-sorcière, dont Benjamin Péret a admirablement parlé dans sa préface à l’Anthologie de l’amour sublime, ont opposé un véritable rempart contre l’obscénité, la scatologie, la prostitution, la banalité pourtant splendide des gestes de l’amour. Echappant à cette règle de sublimation, Richard Lindner a pris le relais de Manet, de Toulouse-Lautrec et de Balthus,  puisqu’il   replace   le   mythe   féminin  dans  le décor

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tapageur des grandes métropoles. Chez Lindner, c’est la banalité elle-même qui se pare de la beauté prestigieuse du mythe: la femme devient souveraine, et dominatrice des hommes, par la splendeur de son infâme vulgarité. Tout l’arrière-plan du quotidien la fait valoir, solennisé par une couleur somptueuse, comme si les bars, les cabines téléphoniques et les hôtels étaient devenus les palais d’une nouvelle espèce de souveraineté.
La nature est complètement absente de l’entourage des femmes de Lindner : aucun arbre, aucune cascade, aucune forêt n’est là pour nous dire que la femme nous lie à la planète. A une époque où le « nu » et la pornographie sont à la mode, Lindner a inventé des femmes caparaçonnées, armées et harnachées comme des écuyères de cirque, des Lola Montes et des Anges bleus d’opéra qui ne parlent du sexe que par le détour des blasons en lesquels il a métamorphosé leurs vêtements. Etrange retournement: le rêve de la femme libre, offerte nue au spectateur comme sur un plateau de fruits, tel que le pratiquaient les peintres de Cour, fait place à celui de la femme qui a l’air de se refuser, et qui domine, cravache à la main, un monde de clients solitaires. Une féminité agressive s’est substituée, comme rêve masculin, à la féminité soumise  et

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transformant Georgette, sa femme, en statue antique maculée de sang. A ce propos, il faut bien consentir qu’à l’exception de Bellmer, qui a fouaillé l’intériorité physique des sensations érotiques de la femme, les surréalistes c’est là où Xavière Gauthier a raison ont désespérément cherché à enrayer le mouvement qui depuis Les Demoiselles de la Seine a ramené le mythe de la femme à terre. Le culte de Nadja chez Breton, le culte de Gala chez Dali, le culte d’Elsa chez Aragon ont ceci de commun avec le culte de Georgette transformée en «Magie noire» ou en « Mémoire » qu’ils récusent toute vulgarisation de la femme aimée et désirée: les réticences d’André Breton à l’égard de Bellmer s’éclairent à partir de là. A la limite, et malgré le caractère véridique des récits de Nadja et des Vases communicants, les surréalistes ont refusé d’identifier la femme au réel. Les mythes surréalistes de la femme enfant et de la femme-sorcière, dont Benjamin Péret a admirablement parlé dans sa préface à l’Anthologie de l’amour sublime, ont opposé un véritable rempart contre l’obscénité, la scatologie, la prostitution, la banalité pourtant splendide des gestes de l’amour. Echappant à cette règle de sublimation, Richard Lindner a pris le relais de Manet, de Toulouse-Lautrec et de Balthus,  puisqu’il   replace   le   mythe   féminin  dans  le décor

tapageur des grandes métropoles. Chez Lindner, c’est la banalité elle-même qui se pare de la beauté prestigieuse du mythe: la femme devient souveraine, et dominatrice des hommes, par la splendeur de son infâme vulgarité. Tout l’arrière-plan du quotidien la fait valoir, solennisé par une couleur somptueuse, comme si les bars, les cabines téléphoniques et les hôtels étaient devenus les palais d’une nouvelle espèce de souveraineté.
La nature est complètement absente de l’entourage des femmes de Lindner : aucun arbre, aucune cascade, aucune forêt n’est là pour nous dire que la femme nous lie à la planète. A une époque où le « nu » et la pornographie sont à la mode, Lindner a inventé des femmes caparaçonnées, armées et harnachées comme des écuyères de cirque, des Lola Montes et des Anges bleus d’opéra qui ne parlent du sexe que par le détour des blasons en lesquels il a métamorphosé leurs vêtements. Etrange retournement: le rêve de la femme libre, offerte nue au spectateur comme sur un plateau de fruits, tel que le pratiquaient les peintres de Cour, fait place à celui de la femme qui a l’air de se refuser, et qui domine, cravache à la main, un monde de clients solitaires. Une féminité agressive s’est substituée, comme rêve masculin, à la féminité soumise  et

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